Un comble
Aujourd'hui, un texte qui parle des mensonges qu'on tait et des vérités qu'on dit (ou l'inverse)
Il avait oublié le tout premier mensonge. Il y en avait tant ; cela devenait difficile, même pour lui, de démêler le vrai du faux. Les bobards étaient sa raison d’être, sa manière de se présenter au monde, de se sentir moins insignifiant. On en est tous là, vous me direz. Certains parviennent à en faire un carburant pour accomplir de grandes choses ; d’autres se contentent de respirer, c’est tout ; les médiocres comme lui se cassent les dents sur la réalité.
Il s’était inventé une existence à défaut de la vivre avec panache.
Il avait débuté petit, comme tous les gosses, à chiper les bonbons dans le dos des adultes en niant les avoir gobés. Les choses avaient déraillé après le déménagement, à son arrivée au collège. Il n’y connaissait personne, fallait bien se rendre intéressant. Face aux professeurs qui pointaient ses retards, il blâmait le bus ou son petit frère à aider. A ses parents qui insistaient pour qu’il progresse au foot, il parlait de sa douleur mystérieuse au genou. Il y avait aussi les copains qui buvaient ses récits de voyage à New York où il n’avait jamais mis un pied, et les patrons des jobs d’été à qui il faisait croire que l’état de santé de sa mère l’obligeait à gagner sa croûte.
Sa silhouette fluette le sauvait. On lui donnait le bon dieu sans confession. Que voulez-vous : les gens sont d’une naïveté confondante. Ils gobent tout ce qui a l’air vrai.
Il avait rencontré Pauline l’année où son père, désespéré de son cas, lui avait dégoté une mission dans sa boîte d’intérim. Qu’une fille comme elle, première année de master et une culture générale à faire rager tous les concurrents au Trivial Pursuit, s’intéresse à un gars comme lui, ça dépassait l’entendement. Imaginez. La meuf l’avait carrément poursuivi à la sortie du bar pour lui filer son numéro. Lui. Avec son bac raté qu’il cachait à tout le monde et son léger zozotement qui ressortait dans les moments de nervosité.
La marche était si haute qu’il s’était inventé des cours d’histoire de l’art lorsqu’elle lui avait parlé de son goût pour les toiles de la Renaissance. Elle adorait le piano ? Il avait pratiqué plus jeune avant d’arrêter pour se consacrer aux études. Elle rêvait de déménager en Espagne ? Il devenait intarissable sur son Erasmus fantôme à Madrid. Comment lui dire qu’il était resté le cul posé dans son lit à attendre que son père lui dise quoi faire de sa peau ? Quand trouver le bon moment de lui révéler sa banalité, et qu’il n’alignait pas un mot de mandarin comme il lui avait fait croire ?
Au début, ça l’arrangeait bien de ne rien voir, Pauline. Elle ne parlait jamais de la période avant lui, et il devinait à ce silence inhabituel des années d’errance amoureuse. A vingt ans, la quête de la stabilité l’avait aveuglée. Elle voulait y croire. Elle réclamait son droit au bonheur, et les illusions qui allaient avec, tout le baratin qu’on lui servait depuis ses 5 ans, à grand renfort de contes de fées, le couple comme boussole, les mecs protecteurs, l’amour qui dure, tout ça. Avec ce genre de filles avides de romantisme, les rêves d’amour n’ont pas de plafond de verre. Elles veulent des jours comme des nuits, plus grands, plus forts, et te voilà obligé de suivre le rythme.
Chaque jour, il devait consolider le scénario d’un chemin bien tracé. Elle l’avait soumis à ses névroses.
Si elle n’avait pas commencé à s’ennuyer, elle aurait été heureuse longtemps dans leur monde factice. Mais madame cherchait l’aventure. Madame voulait de l’authentique. Et madame n’écoutait plus ses histoires comme avant. Et elle lui en racontait, à son tour.
Pour en avoir le cœur net, il l’avait suivie, un soir de juin, jusqu’au cinéma de la place de la Libération. Devant la porte d’entrée, elle avait frôlé un beau-gosse en jogging Lacoste. Son sourire dévastateur à son adresse l’avait trahie. Ca l’avait détruit sur place de la voir flirter avec lui comme ça. De les imaginer s’embrasser. Que Lacoste puisse être en train de glisser ses doigts en elle, devant un film moisi qu’ils ne regardaient même pas. Et par-dessus tout, qu’elle préfère sa dégaine à tous les rêves qu’il lui avait vendu.
Il aurait aimé être violent, mais il ne savait même pas se battre. Alors il n’avait rien fait. Il était resté prostré sur le trottoir, avant de rentrer chez eux, trahi. Quand Pauline avait passé la porte, la mine verrouillée, et qu’elle lui avait annoncé, non sans courage, que c’était fini, voilà, il n’avait rien répondu, il n’avait rien dit pour la retenir. A croire que le puits de son imagination s’était tari au pire moment.
🔥 L’apocalypse en joie
J’ai dévoré un livre splendide. Il s’appelle “L’Eden à l’aube”. La langue de Karim Kattan est liquide, charnelle, mystique, ça parle d’amour fou, c’est beau comme un coucher de soleil, envoûtant comme une tempête de sable, et c’est surtout le plus bel incipit que j’ai lu depuis longtemps
Danser, danser, danser, et chanter faux aussi, telle est une autre de mes visions de la joie. Merci à Robin de m’avoir fait tournoyer comme si je savais danser le rock (non)
Sentir l’orage arriver quand on a chaud est une sensation délicieuse
🎧 L’apocalypse en rythme
A bientôt !



Merci Julie un peu triste ton dernier apocalypse tout le monde en prend pour son grade
Bisous